Alors que les fermentations sont en marche, les stratégies d’élevage du millésime 2024 vont bon train. Quelles adaptations opérer cette année ? Quels leviers utiliser pour élever sans marquer un 2024 plus discret que surpuissant ? Comment gagner en complexité, en harmonie, en conservant l’équilibre du millésime ? La palette qui s’offre aujourd’hui peut paraître déroutante, au point de s’y perdre parfois. Nous proposons ici de revenir sur les usages, méthodes et types d’élevage actuels, afin d’opérer des choix les plus judicieux possibles.
L’élevage : de quoi parle-t-on ?
Techniquement, l’élevage démarre après les écoulages, et après les fermentations, même si on peut pourtant déjà parler d’élevage si les fermentations malolactiques se font en barriques, ou plus encore dans le cas des vinifications intégrales. La tendance actuelle est à la forte diminution des fermentations malolactiques en barrique pour éviter les risques microbiologiques, certainement accentués par les températures plus chaudes que le vignoble connaît actuellement. On privilégie parfois les malos dans des contenants plus inertes que le bois, aussi parce qu’on diminue les doses de SO2 et qu’on évite de nouveaux risques microbiologiques.
Une palette à portée de chais pour gagner en complexité dans l’assemblage
La cuve inox, la plus répandue, n’offre pas d’échange : elle est hermétique et garantit d’excellentes conditions d’hygiène tout au long de l’élevage. Pour une utilisation optimale, le milieu de bouche, la qualité des tanins du vin, la prégnance du fruit devront se suffire à eux-mêmes.
La cuve béton, elle, apporte un échange supérieur à l’inox, et inférieur à l’amphore. Le béton assure une légère évolution, certes lente, mais présente, et promet une inertie thermique, bien plus importante qu’avec l’inox. La forme ovoïdale peut présenter un intérêt pour le mouvement des lies, mais exige une surveillance attentive au moment du bâtonnage pour éviter la réduction, principale contrainte du béton. L’avantage majeur consiste bien entendu en la préservation d’un fruit frais, particulièrement adapté pour un vin déjà équilibré, avec un fruit qu’on veut conserver, idéal à marier avec des lots de vin élevés en barriques.
Nouveaux contenants : amphores, wine globe, barriques en inox
Depuis 10 à 15 ans, de nombreux alternatifs au bois se sont développés. En premier lieu, les amphores autrefois utilisées pour transporter le vin (comme la barrique), sont devenues des contenants d’élevage en les enterrant (historiquement en Géorgie ou en Arménie par exemple).
Aujourd’hui, on les utilise bien entendu hors de terre, en jouant sur les niveaux de porosité (liés aux températures de cuisson) en fonction des vins que l’on souhaite produire. Avec des entrées d’oxygène plus ou moins importantes, l’intérêt majeur, c’est de travailler des porosités inférieures à celle des barriques, pour une micro-oxygénation, tout en préservant le fruit. L’amphore n’apporte pas de tanins, certes, mais l’oxygène qui se mêle aux tanins du vin et aux anthocyanes, accentue la polymérisation, et permet de conserver la pureté aromatique. La forme de l’amphore, elle, joue assez peu.
Quelle typicité de vin pour un élevage en amphore ?
On choisit bien entendu un élevage en fonction du style vin qu’on veut faire, mais pour qu’un élevage en amphore soit optimal, il faut que les tannins soient mûrs, soyeux, et que l’aromatique de fruit soit présente : si l’amphore conserve l’arôme de fruit frais, il faut bien l’avoir au départ ! si le vin est végétal, il restera végétal malgré l’élevage. L’amphore peut certes assouplir un vin puissant et tannique en affinant ses tanins et en lui apportant de l’élégance. Mais en règle générale, il faut un vin très équilibré, avec une aromatique très agréable, et du fruit très frais.
Un cépage en particulier ? si la porosité est importante, les cépages plus réducteurs fonctionnent bien (syrah). Mais puisqu’on peut aujourd’hui adapter la porosité, on peut tout à fait y mettre des cépages plus oxydatifs, comme le chenin, le sémillon, ou la roussanne par exemple.
Le wine globe, qu’on retrouve dans certains chais, est un matériau plus inerte que l’amphore. L’objectif principal avec un tel contenant est de conserver le fruit au meilleur niveau de fraicheur et de pureté aromatique. Le wine globe garde les vins en réduction : le verre, qui doit être protégé par des chaussettes, est relativement inerte. Son usage n’est pas inintéressant pour les blancs ou pour gérer les petits volumes de vin.
Stratégies d’élevage : une affaire d’équilibre
On cherche toujours à adapter sa stratégie d’élevage en fonction du lot du vin, de sa qualité, de ce qui lui manque ou des caractéristiques qu’il présente déjà, du contexte du millésime (chaud, frais, pluvieux, etc.). On croise également une stratégie qualitative en se demandant où on peut amener les différents lots de vin : est-ce qu’il sera un premier vin, un second, ou une troisième ? Dans le cadre d’un élevage en bois, le bois doit être le plus intégré possible.
La question de la proportion est aussi capitale : on a vu évoluer cette répartition de l’élevage qui désormais se situe entre 10 et 25% sans bois (amphores, béton, inox) pour les vins de garde. Le reste est élevé sous bois, mais pas forcément neuf (25-50% pour une grande majorité de ces mêmes vins de garde), et pas forcément des barriques de 225L (500 litres, foudres, cuves, gros volumes se sont largement développés).
L’émergence de nouveaux élevages, à l’heure du changement climatique
La recherche de précision dans les politiques d’élevage constitue une évolution notoire des équipes techniques actuelles. Avec les avancées rencontrées côté vigne, ce sont les deux leviers majeurs de changement qu’on a constaté ces dernières années. Bien entendu, la variation d’un élevage traditionnel en barrique de chêne est aussi par endroit soumise aux contraintes budgétaires. Moins de bois neuf, c’est également une économie conséquente dans un contexte économique plus tendu. Mais c’est probablement sous la contrainte d’un climat plus chaud et de l’apparition de millésimes plus solaires (2015 marque de ce point de vue un important virage) que les stratégies d’élevage se sont trouvées modifiées.
Il faut dire que les millésimes 2015, 2016, 2018, 2019, 2020, ou 2022, par exemple, ont une sucrosité naturelle qu’on ne connaissait pas forcément auparavant. On dispose dorénavant de lots de vins avec des soyeux de tannins qu’on peut garder en cuve ou en amphore, sans besoin de les arrondir sous bois. Il est intéressant de conserver une partie de ces vins dans des alternatifs au bois neuf, afin d’optimiser le futur assemblage.
Des élevages qui s’adaptent aux changements de style
Les années 1990 à 2010 ont été marquées par la forte présence des caractéristiques de bois (aromatique, sucrosité et tannicité du bois) l’objectif étant alors de rendre les vins plus aptes au vieillissement. On a ensuite cherché à retrouver un équilibre aromatique dans des vins qui se dégustent de plus en plus tôt. Les tonneliers ont travaillé des barriques moins marquées par la chauffe, avec des températures de chauffe mieux maîtrisées, et des meilleures qualités de bois.
Vingt ans plus tard, on dispose d’une intéressante palette de contenants qui permet d’affiner et préciser les vins quel que soit le style qu’on souhaite imprimer. Les amphores sont idéales pour les petits volumes, les cuves béton plus adaptées aux plus gros volumes. On réfléchit l’élevage lot par lot, en pensant au futur assemblage : on segmente et on pilote dès la vinification pour tirer chaque profil de vin vers le haut, en fonction de la maturité des tannins, et en fonction du temps de garde, aujourd’hui plutôt autour de 5 à 10 ans que de 30 ans !