11 décembre 2024-Technique

Amphores, foudres, cuves : les récentes évolutions des contenants d’élevage

Nathaël Suils, directeur de la société de distribution Oenotech Bordeaux commercialise une grande diversité de contenants d’élevage. Depuis 2015, il est le distributeur du tonnelier et foudrier Stockinger, et depuis 2016, le distributeur français (et d’une partie de l’Europe) de TAVA, le principal producteur d’amphores. Au cœur des transformations du secteur, il est un témoin privilégié des évolutions des pratiques en matière d’élevage.

Quels changements avez-vous observé ces dix dernières années et quelles en sont les raisons ?

Il est vrai que ma fonction depuis 25 ans me permet d’être un observateur privilégié des pratiques d’élevage. J’ai, comme beaucoup, pu remarquer une modification de la demande en matière de bois : on est en effet passé d’un besoin de bois marqué (pour ses arômes, sa sucrosité) par la chauffe (années 2000-2010), à une volonté d’élever sans masquer, pour préserver le fruit. Certains tonneliers ont commencé à réfléchir à des chauffes légères, douces pour s’adapter aux besoins de leurs clients vignerons. Le tonnelier autrichien Stockinger avait, de mon point de vue, une longueur d’avance : il fabriquait déjà des barriques discrètes, qui permettaient de préserver la finesse et l’élégance du fruit sans masquer le vin. Il me semble que son expérience des grands contenants (foudres, cuves en bois) lui a été utile. Mais mon sentiment est peut-être partisan : je suis leur ambassadeur en France depuis 10 ans !

Vous distribuez également les amphores du fabricant italien Tava, désormais bien connu des chais français et étrangers, quand avez-vous remarqué le développement de leur utilisation ?

Depuis 2016, je dirais qu’on pourrait parler d’une explosion du nombre d’utilisateurs. Pour exemple, en 2015 Tava n’avait aucun client en France, et l’entreprise en compte aujourd’hui plus de 900, dont 350 clients à Bordeaux. Bordeaux est bien la région viticole qui connaît la plus grande concentration d’utilisation d’amphores.

A votre avis, pourquoi un tel succès ? 

Le choix des élevages s’opère désormais en privilégiant l’équilibre des vins dans le plus grand respect du raisin, qui, grâce au travail soigné à la vigne et aux nouvelles méthodes de tri, arrive de façon optimale dans les cuves. L’amphore Tava, avec ses caractéristiques micro-oxygénantes et sa forme spécifique, permet au vin de s’arrondir tout en préservant sa fraicheur et ses arômes primaires. Cette quête – qui vise à exprimer au plus juste les caractères du terroir et l’expression du fruit – s’est généralisée dans la plupart des vignobles. A Bordeaux, par exemple, il y a aujourd’hui une profonde recherche de vins plus digestes, peut-être plus authentiques, aussi. L’amphore qui accompagne le vin et l’élève sans le dénaturer ne pouvait qu’y trouver sa place, en complément des barriques et des autres contenants bois !

Qu’est-ce qu’un élevage en amphore apporte au vin ?

Je ne sais pas si l’amphore « apporte » quelque chose en plus, je dirais plutôt qu’elle respecte ce qu’il est. En règle générale, on choisit l’amphore pour conserver le caractère fruité du vin, pour préserver sa pureté aromatique. Il faut dire qu’on ne sulfite presque pas le vin élevé en amphore, et qu’ainsi on gagne en couleur, en fraîcheur, en pureté. Utilisée à des proportions variables (5 à 30% d’un assemblage en règle générale), j’ai le sentiment que les lots issus des amphores sont assez juteux, éclatants, et qu’ils sont souvent sélectionnés pour la présentation des échantillons primeurs à Bordeaux. Plus chères que les barriques, les amphores ont une durée de vie éternelle – à la condition bien sûr d’être assuré de la qualité de la cuisson, de sa porosité, etc. – cela paraît un atout considérable !

Est-ce qu’il y a des cépages qui sont plus adaptés que d’autres à un élevage en amphore ?

Tous les cépages peuvent fonctionner ! Plus que le cépage, c’est le bon vin qu’il faut y mettre… Si on observe de la verdeur, de l’acidité ou de l’astringence en excès, l’amphore ne le modifiera pas : elle fait ressortir les qualités du vin, mais aussi ses défauts. Aussi, un tel élevage paraît convenir tant aux pinots noirs de Bourgogne et de Sancerre, qu’au melon de Bourgogne de Jo Landron, au gamay saint romain du Domaine de Sérol, aux viogniers de Gangloff, au carmenere, au malbec, au tanat de Madiran ou d’Irouleguy, à l’assyrtiko du Domaine Sigalas sur l’île de Santorin, et bien-sûr à la plupart des cépages bordelais. La liste peut être longue, et les vignerons conquis de plus en plus nombreux.   

Est-ce que ce recul de l’utilisation de barriques signifie la disparition de l’élevage sous bois ?

Non, je ne crois pas. On observe parfois une diminution de la proportion des barriques neuves, mais pas leur disparition des chais. On constate aussi qu’il y a moins de vieilles barriques, qui, au-delà de 5 ans, peuvent générer de la dureté et creuser les vins. De toute évidence, on conserve du bois, mais sans doute dans d’autres volumes : on voit ainsi se généraliser l’utilisation des foudres, des barriques de 500 ou 600L, etc. Je dirais que grâce à cette importante palette d’élevage – dans la matière première, les formes, les volumes -, les vins ont gagné en éclat, en précision, pour le plus grand plaisir des consommateurs.