15 April 2022-Technical

Le millésime 2020 : Bordeaux signe une trilogie exceptionnelle

2020 à Bordeaux signe pour la troisième consécutive un millésime de très haut niveau. Cette synthèse permet de comprendre ce qu’il s’est passé tout au long de la saison culturale tant sur le plan climatologique qu’agronomique pour nous conduire à obtenir des raisins de grande qualité. Face à ces fruits pleins de goût et ces équilibres, nous avons, aux côtés des équipes techniques, fait des choix de vinifications, d’élevages et d’assemblages pour créer le millésime.

2018, 2019 et maintenant 2020 : Bordeaux offre trois millésimes d’exception. Au-delà de la typicité de chacun, chaque maison, chaque domaine eut l’occasion d’exprimer et de mettre en avant son savoir-faire sur cette trilogie

Hiver et printemps pluvieux mais doux. Une ambiance tropicale

Le graphique ci-dessous illustre très simplement le caractère exceptionnel de l’hiver et du printemps.

Hiver historiquement pluvieux et doux :

  • Plus de 700 mm entre le 1er novembre 2019 et le 31 mars 2020 soit 300 mm de plus que la moyenne 1989-2019.
  • Des températures moyennes systématiquement au-dessus de la moyenne pluriannuelle. Jusqu’à 3,1°C au-dessus de la moyenne au cours de la première quinzaine de février.
  • Seulement 6 nuits avec des températures nocturnes négatives contre 21 en moyenne sur 20 ans.

Printemps historiquement doux dans la lignée de l’hiver :

  • Des températures moyennes toujours nettement supérieures à la moyenne historique (+3,1°C lors de la deuxième quinzaine de mars, +2,7°C lors de la première quinzaine d’avril).
  • Entre Avril et Juin, 135 mm d’eau de plus que la moyenne sur cette période. Ces précipitations vont parfois prendre la forme d’orages de grêle localement destructeurs sur l’est de la Rive Droite et dans l’Entre-Deux-Mers.

Les conséquences agronomiques

  • Rechargement en eau des réserves utiles des sols, ce qui permet à la vigne, en situation normale, de pouvoir mieux affronter la période estivale.
  • Un débourrement précoce, mi-mars, en raison de la douceur printanière. De façon anecdotique certains pieds sur les sols les plus chauds montraient déjà̀ des signes de débourrement mi-février.
  • La floraison précoce, mi-mai, sous des conditions climatiques chaudes et sèches. Elle fut homogène et rapide ce qui est bénéfique pour la suite.
  • Une pression mildiou forte oblige les vignerons bordelais sensibles aux itinéraires éco responsables et biologiques à faire preuve de minutie dans la protection des vignes. Un effort important sur la prophylaxie a été réalisé au vignoble tout au long des travaux en vert pour améliorer le microclimat au niveau des grappes.

Eté sec et frais favorable à la croissance des raisins

  • Arrêt des précipitations à partir de mi-juin. Le mois de juillet est marqué par une quasi-absence de pluie.
  • Des températures moyennes et maximales inférieures à celles de la moyenne pluriannuelle.

Les conséquences agronomiques

  • Compte tenu des fortes précipitations en hiver et printemps, l’absence de pluie en juin et juillet associée à des températures fraiches, n’ont généré aucun stress hydrique sur la vigne.
  • La multiplication cellulaire est bonne : les baies grossissent.
  • La véraison commence tôt, mi-juillet, mais la mi-véraison ne sera atteinte qu’aux environs du 25 juillet sur les terroirs les plus précoces. La synthèse des composés phénoliques dans la pellicule est bonne.

Phase de maturation salutaire à la qualité et vendanges précoces

Ci-dessous un tableau présentant les températures moyennes et maximales ainsi que les amplitudes thermiques du millésime 2020 en comparaison avec la moyenne 2000-2020.

  • La période de maturation s’effectue globalement dans un contexte plus chaud que la moyenne aussi bien pour les températures moyennes que maximales. A noter une assez forte amplitude thermique entre le jour et la nuit, typique des grands millésimes comme 2019, 2018, 2016, 2012, 2010, 2009.
  • Le vignoble subit de façon localisée et d’intensité variable (de 30 à 120 mm) des orages d’été réduisant la contrainte hydrique amorcée en juillet.

Les conséquences agronomiques :

  • Les précipitations d’août, bien que temporisant le stress hydrique, n’ont eu aucun impact sur la taille des raisins. Les conditions climatiques chaudes, sèches et venteuses à partir de mi-août ont conduit à une perte importante de poids et de volume des baies.
  • Les températures chaudes sont très favorables à la synthèse des composés phénoliques (tannins et anthocyanes) des pellicules ainsi qu’à la dégradation des arômes végétaux (pyrazine) des cabernets. Les raisins sont riches en polyphénols et l’extractibilité est bonne.
  • L’amplitude thermique particulièrement importante a été favorable à l’expression aromatique aussi bien en blanc qu’en rouge.
  • Les conditions sèches et chaudes ralentissent l’accumulation des sucres dans les baies de raisins. Les orages d’été viennent aussi apporter un peu de dilution. Les acidités sont aussi affectées. Elles sont plutôt basses.
  • Pour conserver une belle fraicheur, les vendanges des sauvignons blancs ont débuté dernière semaine d’août sur les secteurs de graves. Les sémillons puis les merlots précoces se sont succédés début septembre. Les premiers cabernets francs et sauvignons ont été récoltés mi-septembre pour être terminés début octobre.

Vinifications et début d’élevage, l’avis d’œnologues

Julien Viaud – Rive gauche
Un millésime où les merlots sont aussi brillants que les grands cabernets. Chaque cépage va apporter sa personnalité dans les assemblages. La climatologie de début septembre nous a poussés à anticiper les vendanges sur les merlots précoces des croupes le long de l’estuaire tant les raisins étaient riches d’arômes et les peaux épaisses. Les extractions, volontairement douces, se résument à de l’accompagnement. Les cabernets sauvignons qui ont bénéficié des pluies mi-septembre sont arrivés à maturité plus tardivement. Baies de petites tailles, peaux très épaisses nous  les avons fait infuser pour conserver leur charme et leur gourmandise. La difficulté a été de se résoudre à ne pas vouloir chercher plus alors que naturellement la matière venait toute seule ! Une épreuve sur la maitrise de soi !

Jean Philippe Fort – Pomerol et Saint-émilion

Aussi bien sur le plateau précoce de Pomerol, que sur les terroirs argilo-calcaires, un peu plus tardifs du cœur de Saint-émilion ou encore plus à l’est vers Saint Etienne de lisse, nous avons élaboré des vins exceptionnels. Les merlots et cabernets francs sont magnifiques avec une couleur pourpre profonde, de la chair, du fruit et de la sève. Au niveau technique, les stratégies de vinification se sont révélées finalement assez classiques avec des extractions douces, des temps de macération de 2 à 3 semaines et des choix d’élevage variés en privilégiant malgré tout la barrique, socle de l’élevage des grands vins de Bordeaux.

Mikael Laizet – Pessac Léognan et blancs de Bordeaux

Les merlots ont atteint une maturité aromatique et phénolique optimale sur les graves de Pessac-Léognan. Le travail en vinification a donc été simple avec une extraction mesurée et une macération à 26-28°C pendant 3 semaines. Ainsi, les merlots sont pleins de fruits, de fraicheur, très onctueux avec un très beau grain de tanins. Les cabernets sauvignons ont mis plus de temps pour arriver à un optimum phénolique. Il a fallu être beaucoup plus doux en terme d’extraction. En revanche, ils ont eu besoin d’une macération plus longue à 28°C. L’élevage suit la même philosophie que pour le merlot : respect du fruit, gain en milieu de bouche et en longueur.

Les vendanges des blancs ont été très précoces pour conserver la fraicheur aromatique et l’acidité. Un pressurage lent et l’inertage ont été des pratiques primordiales pour obtenir des jus de belle qualité à l’aromatique éclatant. L’élevage sur lies fines permet au vin de prendre une tout autre dimension. Les résultats sont des vins aromatiquement très précis, une belle structure ainsi qu’une finale “salivante”.

Sophie Maltaverne – Bordeaux et Satellites de la rive droite

Ces conditions climatiques ont permis de réaliser des vinifications sans grande difficulté, avec des macérations plus poussées dans le temps mais douces. Aussi bien Puisseguin que Montagne mais aussi sur les pieds de côtes et plateaux calcaires de Fronsac, les merlots sont éclatant de fruits. La recherche du bon équilibre sans extraction forcée a été notre leitmotiv. L’élevage en barrique a permis d’avoir des vins charnus avec des tanins veloutés en milieu et fin de bouche. L’élevage en amphore préserve l’aromatique fruité en gardant une bonne tension. Le travail d’assemblage s’est vu simplifié avec des lots de grande qualité.

L’assemblages des 2020 – Michel Rolland

Précocité, maturité, vendanges parfaitement maîtrisées, précision dans l’expression des lieux, comme nous l’avions appris au cours des deux dernières décennies.

Les trois cépages principaux, merlot, cabernet franc et cabernet sauvignon sont excellents. C’est le bonheur d’un assemblage dans lequel les synergies sont faciles à trouver. Le merlot a conservé sa fraicheur et son soyeux. Quelques cabernets francs sont époustouflants. Le cabernet sauvignon, avec une trame remarquable, ne présente aucune verdeur, ni aucune aspérité. Tout ça est un vrai régal ! Il est vrai les rendements sont les plus faibles de ces dernières années sans gros accident climatique. Depuis très longtemps déjà le rendement moyen est un facteur de qualité. Ce n’est pas nouveau… Mais une trilogie de cette qualité, c’est historique.