Vendanges 2021

19 April 2022-Technical

Les vendanges 2021 à la loupe,
Récit d’un itinéraire en mouvement

Le début du cycle végétatif de cette année 2021 aura été pour le moins mouvementé. Mais l’heureuse climatologie de l’arrière-saison a offert une formidable occasion d’achever avec panache ce millésime qui restera gravé dans les mémoires vigneronnes.

Un mois d’août incertain

La mi-août signe la phase finale de coloration des raisins, avec un déficit de chaleur et de luminosité important depuis la fin du mois de juin. On note alors une absence totale de contrainte hydrique à cette période. Les raisins, comme de nombreux autres fruits, sont encore fades et aqueux fin août. La pulpe déborde d’acidité et d’eau ; les peaux manquent de goût.

A ce stade, les raisins ne sont simplement pas assez mûrs pour offrir des vins de caractère, qui puissent allier le velouté dans la texture, la concentration, et la fraîcheur typique des Bordeaux d’aujourd’hui.

Malgré cela, et comme souvent à Bordeaux, les conditions météorologiques de l’arrière-saison – et surtout du mois d’octobre – ont fait basculer positivement le millésime.

Des vendanges de blancs faciles et rapides

Les quinze premiers jours de septembre voient l’été se maintenir. Le regain de chaleur permet d’obtenir une bonne maturité sur les raisins blancs de sauvignon et de sémillon.
La concentration en sucre des raisins s’équilibre avec leur acidité. Les peaux se dorent légèrement et prennent des notes d’agrumes et de fruits exotiques. Leur récolte commence début septembre. Les sémillons, eux, sont plus tardifs. Il faudra attendre la mi-septembre pour les récolter, afin de trouver la texture et la rondeur indispensables pour équilibrer la nervosité et la fraîcheur des sauvignons.

Le stress de la récolte des premiers raisins rouges mi-septembre

Dix jours d’instabilité marquent la mi-septembre. Il pleut régulièrement et les températures sont élevées pour la saison.

Nous commençons à ramasser les raisins, car certains d’entre eux s’abîment déjà.  Le travail viticole, mené tout au long de l’année, paye. Les raisins sont aérés, et les vignes, parce que leur vigueur est maîtrisée, résistent et supportent ces quelques jours instables. A ce moment-là, nous ne vendangeons que les zones parcellaires les plus fragiles, que les équipes viticoles ont bien identifiées auparavant.

La réussite de ce millésime sera probablement passée par la capacité des vignerons à s’adapter à ce véritable « patchwork » de maturité des raisins. Ils ont dû ramasser les raisins qui s’abîmaient, et attendre une meilleure maturité pour ceux qui résistaient. Il est vrai qu’ensemble nous cherchons absolument des raisins avec du goût, des tanins séduisants, qui ne se laissent pas emporter par une acidité trop marquée, mordante et agressive.

Du sang froid en septembre…

La quasi-totalité du mois de septembre a été chaud, avec un pic de température jamais rencontrée depuis 1911. Les températures diurnes (+1,6°C) et nocturnes (+2,5°C) ont été largement au-dessus de la moyenne de ces trente dernières années.

Le botrytis fréquent (on voyait souvent des grappes touchées, mais jamais la totalité de la grappe), mais de très faible intensité dans le vignoble de Bordeaux, ne s’est finalement pas développé. Preuve indiscutable : la saison des cèpes tant attendue en septembre n’a pas démarré !

Il a fallu rester très attentif, compter avec précision et plusieurs fois par semaine les pieds botrytisés dans les parcelles, évaluer le risque perte (de quantité) / gain (en qualité). Les vignerons ont dû garder la tête froide, et aller chercher la maturité gustative et phénolique optimale.

Pour la grande majorité des propriétés des deux rives, les premiers merlots se sont récoltés fin septembre. Il y a toujours deux dates-clés : celle où on commence à vendanger, et celle où on achève la récolte. Et cette année, le rythme de ramassage a été très saccadé, exigeant dans la prise de décision tantôt la rapidité, tantôt la retenue.

A cette période, 2021 s’annonce comme un millésime typiquement océanique, et non pas solaire comme les derniers que nous avons vécus. Il n’était pas question d’aller chercher la fraîcheur et l’énergie nécessaires pour équilibrer une puissance qui aurait été naturellement présente.  Au contraire, les raisins débordaient d’acidité et souffraient d’un manque de concentration. Il a fallu ainsi du temps pour dépasser la note végétale et attendre l’indispensable expression aromatique du fruit.  

…. Et un sacré coup de chance en octobre

Il faut dire que la météorologie du mois d’octobre nous a offert une chance incroyable. Les nuits fraîches – avec des températures nocturnes en-dessous de 10°C, et les journées chaudes – avec des températures à plus de 20°C – furent salutaires. Les raisins ont pu perdre leur surplus d’eau, et ont gagné en concentration. Le soleil et la chaleur ont gommé les notes herbacées et végétales que nous pouvions observer encore quelques semaines plus tôt. Les peaux se sont affinées, et sont devenues de plus en plus friables ; les pépins ont perdu l’amertume pour gagner en maturité.

Les cabernets francs et sauvignon se sont ainsi récoltés avec le sourire et sous le soleil d’octobre. Même en octobre le raisin mûrit, plus lentement certes, mais sûrement !

Au chai, on se méfie de la maturité qui n’est pas excessive. On a cherché à reconcentrer les jus, on a travaillé des extractions très douces au début des fermentations. On a joué sur des macérations post- fermentaires : on a laissé infuser et on a construit la bouche en faisant varier les durées d’infusion et les intensités de lessivage des marcs.

Ce qui nous guide alors – pour ces vins qui n’auront pas d’incroyables densités, c’est la volonté de conserver le charme du fruit que nous avions en goûtant les raisins en octobre. On souhaite trouver une structure tannique charmeuse, sans chercher une puissance qui n’était pas présente naturellement.

Un millésime d’audace et d’engagement

2021 aura clairement été un millésime de courage, d’engagement, d’audace. Il aura fallu prendre des risques – sans doute un peu plus que ces dernières années, et se montrer patient pour résister à la tentation de tout ramasser, au moment des pluies de la fin septembre.

Les vendanges auront mis à l’épreuve les nerfs des vignerons, à la vigne comme au chai. C’est un millésime qui aura nécessité beaucoup de travail, de patience et de sang-froid.

Mais c’est aussi un millésime hétérogène qui a exigé un travail d’assemblage méticuleux et rigoureux.  Il a fallu se montrer sélectif, écarter les lots aux maturités trop opposées, et assembler des lots au style concordant.

L’équipe du laboratoire Rolland & Associés.