16 décembre 2022-InternationalTechnique

L’équilibre du millésime 2022 espagnol

De l’autre côté des Pyrénées, l’année 2022 aura été marquée par des températures records et une importante sécheresse. Tour d’horizon en Rioja, Ribera, Navarre et Aragon, avec Mikaël Laizet, œnologue associé du laboratoire Rolland & Associés.

Vous accompagnez de nombreux domaines dans une grande partie de l’Espagne viticole depuis près de 20 ans, pouvez-vous nous présenter les particularités climatiques du millésime 2022 ?

L’année se présente un peu comme dans la région bordelaise : un printemps particulièrement sec et des températures dès le mois de mai assez élevées (notamment en Aragon, une région bien entendu toujours très chaude, mais on observe cette année des jours de canicule cumulés à + 45°C). La région du Rioja également chaude, mais qui en règle générale est plus tempérée, connaît également des records de température, et de très faibles précipitations.

Le débourrement – à la fin mai, s’amorce plus tard qu’à Bordeaux ; il est plus précoce en Aragon qu’en Rioja. L’Espagne ne connaît heureusement ni gel, ni grêle, et démarre ainsi sa floraison plus tôt que d’ordinaire.

Comment les vignes espagnoles passent cet été 2022 qu’on présume tout aussi caniculaire ?

Plusieurs facteurs rentrent en compte pour répondre à cette question. Tout d’abord, il faut noter que l’irrigation au goutte à goutte est possible dans certaines régions viticoles espagnoles, et que pour passer cet été particulièrement chaud et sec, cela a été une des clés du succès. En Aragon, notamment, qui a connu des températures records plusieurs jours et nuits d’affilée, les vignes résistent bien grâce à l’irrigation. En Rioja par contre – dans la région d’Alava au Pays Basque, ou dans la Rioja Alta – l’irrigation n’est pas autorisée, mais l’altitude des vignobles (300 à 500 mètres) a considérablement joué pendant les épisodes caniculaires. Les nuits nettement plus fraîches qu’en plaine ont permis à la vigne de récupérer des journées chaudes. En Priorat, par exemple, les journées ont été plus tempérées et les nuits plus fraîches, grâce à la proximité de la mer.

La nature des terroirs a-t-elle joué un rôle pour surmonter le climat estival ?

Oui, bien sûr, comme classiquement en réalité. Les terroirs argilo-calcaires de la Rioja, les schistes du Priorat, ou les vieilles vignes bien enracinées, supportent mieux ces à-coups de chaleur. Les jeunes vignes, elles, souffrent davantage. Sur les terroirs graveleux avec des sous-sols argileux (comme dans la région de Pampelune), l’argile constitue une réserve d’eau bénéfique que l’irrigation conduite au bon moment complète idéalement.

Quand les vendanges ont-elles démarré en Espagne, et sous quelles conditions ?

Les chardonnays d’Aragon sont ramassés entre le 15 et le 20 août ; ceux de la région de Pampelune entre le 1er et le 15 septembre, avec une quinzaine de jours d’avance par rapport aux moyennes de ces dernières décennies. On décide de ramasser de bonne heure pour garder la fraicheur aromatique ; on conseille des pressurages doux pour extraire peu de tannins, et limiter les composés oxydables.

Pour les cépages rouges, on démarre avec 8 à 10 jours d’avance sur les habitudes de récolte, mais finalement les vendanges n’ont pas été si précoces que ce que nous avions imaginé au début de l’été. Il faut dire qu’on a connu quelques blocages au mois d’août (pour les cabernets sauvignons notamment), et que le cycle de maturation est allongé dans les secteurs d’altitude. On a enfin ramassé les tempranillos de la Rioja le 6 octobre !

Que diriez-vous de ce millésime 2022, à l’heure où les vinifications s’achèvent ?

Les raisins sont beaux, avec un joli potentiel de couleur, un excellent potentiel tannique et fort concentrés. Même si c’est une règle qu’on se donne chaque année, il a fallu être particulièrement prudents dans les extractions parce que les couleurs et les tannins sortaient très vite. On a également choisi de diminuer les temps de remontages pour répondre à l’importante concentration ; on a ainsi opté pour des macérations assez longues (30 à 35 jours, contre 25 jours habituellement), par infusion, à 26-28°C. C’est bien entendu un schéma grossier que nous avons naturellement adapté en fonction des régions et des cépages.

Dans un millésime chaud et sec, la priorité c’est l’équilibre : nous avions une excellente maturité de tannins, et on savait qu’on ne devait pas aller trop loin, qu’on devait se garder de risquer la démesure. Les fins de fermentations ont découvert des jus aromatiques, sur le fruit frais ; il se pourrait que ce 2022 ait et la fraîcheur et la concentration !

Dans quel état d’esprit se trouvent les vignerons espagnols face au bouleversement des climats ?

Bien sûr, les vignerons espagnols, comme ceux du monde entier, perçoivent ce changement climatique, parce qu’ils passent d’un climat très chaud à un climat très très chaud ! Même s’ils ont depuis longtemps adapté leur viticulture aux conditions climatiques de sécheresse et de chaleur – par le choix des cépages, par l’acceptation de l’irrigation, etc. – ils opèrent d’importants changements pour y faire face avec encore plus de précision. On les voit ainsi remettre en question le travail de leurs sols, réfléchir la gestion de l’eau, avec ou sans irrigation, etc., et on les accompagne au mieux dans cette voie, avec notre expérience et notre approche scientifique.